Le singe criminel

juge et singe
Quant à Lavenette, Son Excellence avait employé le temps d’une façon moins périlleuse que nos héros. Se trouvant seul dans l’appartement le plus reculé du palais, en tête-à-tête avec Jacquot, et n’ayant personne à juger dans un tel moment, il s’était mis à juger le petit animal, pour se tenir en haleine. Le crime qu’il reprochait au pauvre singe consistait dans le vol d’une noix de coco, avec circonstances aggravantes de voies de fait et d’abus de confiance. C’eût été un plaisant spectacle ! Le judico-mane, revêtu de ses nombreux insignes, interrogeait gravement l’accusé, lui demandait ses nom, prénoms et qualités, s’informait du lieu de sa naissance, de son âge et sa profession, s’enquérait des circonstances du crime et des motifs qui l’avaient fait commettre, cherchait à lui prouver éloquemment toute la noirceur d’un pareil acte, l’engageait au repentir, par le tableau de sa famille dont il risquait de faire le déshonneur, et par la perspective de l’échafaud qui ne pouvait lui manquer, s’il persévérait dans cette coupable route, requérait enfin les peines les plus sévères contre le quadrumane, au nom de la morale publique et de la société éplorée.
Pendant ce temps, Jacquot était accroupi sur un siège, en face de son juge, imitant ses gestes, faisant entendre des cris perçants, et.répondant à chacune de ses questions par des gambades et des grimaces.
Ce fut dans cette situation étrangement comique que monseigneur fut surpris par l’incendie. Il fallut lever la séance et quitter le palais croulant. Or, le prévenu, effrayé par le feu, sauta sur les épaules de Son Excellence, et, s’y cramponnant des quatre pattes, ne voulut point abandonner ce lieu d’asile pendant tout le trajet du palais au rivage. On eut beaucoup de peine à lui faire lâcher prise.

Extrait des Aventures de Robert-Robert par L. Desnoyers, illustré par F. de Courcy, 1839.

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