L’artiste contempla ce groupe avec satisfaction

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Atelier du peintre
Il ouvrit la porte et fit passer ses hôtes. Le roi marchait derrière la Valliere et dévorait des yeux son cou blanc comme de la nacre, sur lequel s’enroulaient les anneaux serrés et crépus des cheveux argentés de la jeune fille.
La Valliere était vêtue d’une étoffe de soie épaisse de couleur gris-perle glacée de rose, une parure de jais faisait valoir la blancheur de sa peau, ses mains fines et diaphanes froissaient un bouquet de pensées, de roses du Bengale et de clématites au feuillage finement découpé, au-dessus desquelles s’élevait, comme une coupe à verser des parfums, une tulipe de Harlem aux tons gris et violets, pure et merveilleuse espèce, qui avait coûté cinq ans de combinaisons au jardinier et cinq mille livres au roi.
Ce bouquet, Louis l’avait mis dans la main de la Valliere en la saluant.
Dans cette chambre dont Saint-Aignan venait d’ouvrir la porte se tenait un jeune homme vêtu d’un habit de velours éger avec de beaux yeux noirs et de grands cheveux bruns.
C’était le peintre.
Sa toile était toute prête, sa palette faite.
Il s’inclina devant mademoiselle de la Valliere avec cette grave curiosité de l’artiste qui étudie son modèle, salua le roi discrètement, comme s’il ne le reconnaissait pas et comme il eût par conséquent salué un autre gentilhomme.
Puis, conduisant mademoiselle de la Valliere jusqu’au siège préparé pour elle, il l’invita à s’asseoir.
La jeune fille Se posa gracieusement et avec abandon, les mains occupées, les jambes étendues sur des coussins, et, pour que ses regards n’eussent rien de vague ou rien d’affecté, le peintre la pria de se choisir une accupation.
Alors Louis XIV en souriant vint s’asseoir sur les coussins aux pieds de sa maîtresse.
De sorte qu’elle, penchée en arrière, adossée au fauteuil, ses fleurs à la main ; de sorte que lui, les yeux levés vers elle et la dévorant du regard, ils formaient un groupe charmant que l’artiste contempla plusieurs minutes avec satisfaction, tandis que, de son cote, Saint-Aignan le contemplait avec envie.

Extrait du Vicomte de Bragelonne, par A. Dumas père, publié dans Les Bons Romans, 1862.

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