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Jean-Augustin-Alexis Sauvage

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Alexis Sauvage
Tous les journaux de Paris ont payé dernièrement, en réparation de l’oubli et des malheurs de sa vie, un juste tribut d’éloges à la mémoire de Frédéric Sauvage, inventeur de l’hélice. (Voir le numéro 753 de l’Illustration).
Nous avons à ajouter encore aujourd’hui, au martyrologe des inventeurs, le nom de M. Jean-Augustin-Alexis Sauvage, lui aussi ingénieur-mécanicien-inventeur, qui vient de mourir à Passy. Serait-il donc vrai, comme on l’a dit, que tout homme de génie soit condamné pendant sa vie à la souffrance, au malheur ? Les chagrins et les dures épreuves que Frédéric et Alexis Sauvage ont eus à supporter donnent à leur vie une similitude parfaite.
Nous esquisserons ici à grands traits la vie, c’est à-dire les travaux et les malheurs de celui-ci.
Il était né en 1781, aux environs de Paris, de simples ouvriers. Il passa les premières années de sa vie à Bellevue, près Meudon, où il apprit la mécanique dans l’atelier-laboratoire du fameux Gamin, serrurier, qui avait eu l’honneur de donner des leçons au roi Louis XVI.
Alexis Sauvage travailla quelques années comme ouvrier mécanicien dans les ateliers du gouvernement, et bientôt après chez M. Albony, qui en fit son chef d’atelier.
Ce fut sous les auspices de son patron, en 1816, qu’il entra en rapports avec Windsor, venu en France à cette époque pour y monter l’éclairage au gaz, invention française qui nous revenait d’Angleterre. Il fut protégé et devint l’ami de Windsor qui, malheureusement pour lui, mourut trop tôt en 1828.
Ce fut Alexis Sauvage qui, de 1816 à 1820, monta successivement les usines à gaz des Panoramas et du Luxembourg. Le gouvernement prit sous sa protection, après ces premiers essais, la découverte nouvelle pour en faire l’application en grand. La compagnie royale d’éclairage au gaz se fonda en 1822 sous les auspices du roi et avec le concours de MM. le vicomte Chaptal, de Bourienne, Dosne et Minguez. Sauvage fut chargé de l’exécution et de la surveillance de tous les travaux entrepris par elle dans Paris, et fut nommé chef de l’éclairage de Paris et des théâtres royaux. C’est dans cette position que, pendant dix ans, de 1820 à 1830, il rendit les plus grands services à la nouvelle industrie du gaz.
En effet, c’est à lui que sont dus les premiers moyens de contrôle dans la distribution du gaz de l’éclairage, et particulièrement le timbrage des becs, la réalisation industrielle des compteurs à gaz, dont il rendit l’application possible en grand sur toutes les lignes de la ville. (Les améliorations apportées par lui aux compteurs à gaz lui ont valu une mention honorable à l’exposition française de 1827).
Une question industrielle et scientifique de la plus haute portée attira bientôt son attention ; et c’est après douze ou quinze ans de travaux consécutifs qu’il a été assez heureux pour trouver la solution du problème de l’alimentation continue des chaudières des machines à vapeur avec l’eau pure provenant de la condensation dans le vide sans injection. Ses appareils ont pour effet d’établir dans les machines à vapeur une circulation continue de la même eau, analogue à la circulation du sang chez les êtres animés.
Alexis Sauvage était tout occupé à l’exécution de ces importants travaux, lorsqu’en 1849 lui et sa femme furent grièvement blessés dans l’explosion et l’incendie du gazomètre de l’Opéra, dont il avait été, vingt-cinq ans avant, l’inventeur et le constructeur. Sauvage, homme de cœur et d’intelligence, traversa les flammes pour fermer les vannes du gazomètre, et sauva ainsi, d’une destruction imminente, tout un quartier de Paris et les décors de l’Opéra. (Voir l’Illustration numéro 349.) Une médaille d’honneur, bien méritée, lui fut accordée pour le sang-froid, le courage et le dévouement qu’il a montrés dans cette solennelle occasion. Ce terrible sinistre compromit à la fois sa santé et ses moyens d’existence. Il avait reçu une médaille d’honneur, mais sans secours ni pension ; et M. Margueritte, directeur de la compagnie anglaise, après l’avoir bercé longtemps de vaines promesses, allait l’expulser de son domicile et l’envoyer, sans secours et sans pitié, mourir à l’hôpital avec sa pauvre femme.
Alexis Sauvage, après avoir subi cette cruelle épreuve du feu, n’a jamais recouvré la santé, mais au moins il avait retrouvé l’espérance et conservé toute son énergie morale. La Société d’encouragement a publié, dans son bulletin d’octobre dernier, un rapport de M. Tresca, sous-direnteur du Conservatoire des arts et métiers, sur les appareils de condensation et d’alimentation appliqués à une machine à vapeur. Une médaille de 2e classe lui a été décernée par le jury de l’Exposition universelle de 1855. Une commission de l’Institut est nommée ; depuis trois ans on attend son rapport, et une application sur une machine de 10 chevaux, système Farcot, se poursuit en ce moment chez M. Gourdon, mécanicien à Paris, rue du faubourg du Temple, n° 18.
Les destinées terrestres de notre inventeur sont accomplies ; mais, moins heureux que son homonyme, il est mort avant d’avoir pu voir la réalisation en grand de son plus grand travail, qui l’a occupé pendant près de vingt ans. A lui aussi, à bout de ressources et malade, des savants et des ingénieurs demandaient, après une application parfaite sur une machine de 2 chevaux, rue du Ranelagh, n° 9, à Passy, des essais plus décisifs et des expériences plus en grand. Dix personnes de cœur et d’intelligence se sont associées pour faire l’application de son invention sur une machine fixe de 10 à 15 chevaux, et sur un bateau de 25 à 30.
Le fils de M. Sauvage, aidé de ses amis, poursuivra la réalisation des applications projetées. Espérons que le succès viendra couronner leurs efforts et consoler l’âme d’Alexis Sauvage, qui est mort en regrettant de n’avoir pu assister au triomphe de son idée.
Nous terminerons cette notice biographique en exprimant le regret que, dans notre pays, il n’existe pas encore de société qui donne un encouragement sérieux aux inventeurs, en prenant sous sa protection effective les bonnes inventions.
L’inventeur, fantassin du progrès, engage, pour faire triompher ses idées, une lutte acharnée dans laquelle il perd toujours son repos, et souvent la fortune et la vie. Nous avons vu se fonder sous nos yeux de grandes institutions ; c’est pourquoi j’appelle de tous mes vœux la création d’une véritable société de crédit à l’invention, sous le patronage du gouvernement.
E. Lemonnyer de la Chesnaye.
 
Extrait de L’illustration N° 769 du 21 Novembre 1857.

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