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Mon ami, mon seul ami, parlez !

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Mon ami, parlez !
— Oh ! mon ami, pour qui me prenez-vous ?
— Comment?
— Si vous savez, pourquoi me cachez-vous? Si vous ne savez pas, pourquoi m’avertissez-vous?
— C’est vrai. J’ai eu tort. Oh! je me repens bien, voyez-vous, Raoul. Ce n’est rien que d’écrire à un ami : « Venez !  » Mais avoir cet ami en face, le sentir frissonner, haleter sous l’attente d’une parole qu’on n’ose lui dire…
— Osez! j’ai du cœur, si vous n’en avez pas ! s’écria Raoul au desespoir.
—Voilà que vous êtes injuste, et que vous oubliez avoir affaire à un pauvre blessé.. la moitié de votre cœur… Là ! calmez-vous ! Je vous ai dit : « Venez. » Vous êtes venu ; n’en demandez pas plus à ce malheureux Guiche.
— Vous m’avez dit de venir, espérant que je verrais, n’est-ce pas ?
— Mais…
— Pas d’hésitation! J’ai vu.
— Ah !… fit Guiche.
— Où du moins, j’ai cru…
— Vous voyez bien, vous doutez. Mais si vous doutez, mon pauvre ami, que me reste-t-il à faire ?
— J’ai vu la Vallière troublée… Montalais effarées… le roi…
— Le roi?…
— Oui… Vous détournez la tête… le danger est là, le mal est là ; n’est-ce pas, c’est le roi ?
— Je ne dis rien.
— Oh ! vous en dites mille fois plus ! Des faits, par grâce, par pitié, des faits ! Mon ami, mon seul ami, parlez ! J’ai le cœur percé, saignant ; je meurs de désespoir !
— S’il en est ainsi, cher Raoul, répliqua de Guiche, vous me mettez à l’aise, et je vais parler, sûr que je ne dirai que des choses consolantes en comparaison du désespoir que je vous vois.
— J’écoute !… j’écoute !…
— Eh bien ! fit le comte de Guiche, je puis vous dire ce que vous apprendriez de la bouche du premier venu.
— Du premier venu ! On en parle ? s’écria Raoul.
— Avant de dire : on en parle, mon ami, sachez d’abord de quoi l’on peut parler. Il ne s’agit, je vous jure, de rien qui ne soit au fond très-innocent ; peut-être une promenade…
— Ah! une promenade avec le roi ?
— Mais, oui. avec le roi ; et il me semblé que le roi s’est promené déjà bien souvent aVec des dames, sans que pour cela…
— Vous ne m’eussiez pas écrit, répéterai-je, si cette promenade était bien naturelle.
— Je sais que pendant cet orage, il faisait meilleur pour le roi de se mettre à l’abri que de rester debout tête nue devant La Vallière, mais…
 
Extrait du Vicomte de Bragelonne, par A. Dumas père, publié dans Les Bons Romans, 1862.

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